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Terres en location et menacées par le béton, engrais au marché noir, eau rare : Dur, dur d’être agriculteur !

Posted in Ressources naturelles with tags , , on 5 août 2022 by Paysans d'Algérie

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En cette période où la campagne moissons-battages bat son plein, les regards sont tournés vers la céréaliculture et les conditions dans lesquelles évoluent ses acteurs. De l’accès au foncier et à l’eau agricole jusqu’à la livraison des récoltes aux CCLS (coopératives des céréales et légumes secs) de l’OAIC, le parcours n’est pas de tout repos en effet, affirment souvent les céréaliculteurs qui dénombrent une multitude d’embûchent qui parsèment leur chemin.

Rencontré dans son exploitation, Ali Boumriche, qui est l’un des acteurs clé de la filière céréalière dans la wilaya de Tizi Ouzou et ayant été primé l’année dernière du prix du meilleur producteur de céréales durant la saison 2020-2021 par la Chambre d’agriculture de wilaya, reviendra longuement sur son expérience de plusieurs années dans ce domaine, non sans avoir à gérer des situations contraignantes mais qui ne l’empêchent pas pour autant d’avoir des ambitions et des projections à long terme.

Evoquant le périmètre agricole de Draa El Mizan qui, avec 15 000 hectares, représente plus de 10% de la surface agricole utile globale de la de Tizi Ouzou, et où il est multiplicateur de semences de céréales, M. Boumeriche assure que « cette zone comprend des terres à haute valeur agricole, d’autant plus qu’elle a l’avantage d’être un périmètre irrigué, avec le barrage qui y est réalisé ».

En revanche, regrette-t-il, « en l’absence de contrôle des services de l’Etat, d’importants pans de ces terres à fort potentiel agricole s’amenuisent d’année en année en raison de l’urbanisation anarchique qui envahit cette zone de toutes parts ».

L’agriculteur Ali B. apportant du gazoil pour alimenter ses pompes à eau qui fonctionnent en alternance pour assurer une irrigation permanente/ Photo M. Naïli

Interrogé justement sur les raisons de ces dizaines, voire des centaines, de bâtisses qui remplacent peu à peu les vastes étendues de cultures végétales de toutes sortes dans ce périmètre, il affirmera que « ce sont des propriétaires terriens qui, soit ils ont arrêté leur activité agricole qu’ils trouvent moins rentable et ont créé des lotissements qu’ils ont vendus comme terrains à bâtir, soit ils ont changé d’activité pour lancer des unités de production de matériaux de construction, d’entrepôts, commerce de gros et bien d’autres activités qu’ils jugent plus lucratives ».

Outre, les terres relevant de la propriété privée, « il y a aussi des exploitants ayant bénéficié de concessions pour la création d’EAC (exploitations agricoles collectives) ou EAI (exploitations agricoles individuelles) sur des terres du domaine privé de l’Etat qui cèdent ces terres à des projets d’utilité publique moyennant des indemnités conséquentes ».

Comment la situation en est arrivée là, alors que la législation interdit fermement le détournement des terres agricoles de leur vocation ? « Les terres sont bâties sans permis de construire, mais à la fin, les propriétaires de ces constructions réussissent toujours à se faire régulariser par voie de justice », expliquera-t-il dépité.

Cette tendance à tolérer les atteintes portées aux terres agricoles est loin d’être spécifique au périmètre irrigué de Draa El Mizan, dès lors que, récemment, le médiateur de la République, Brahim Merad, affirmait que « puisque les infrastructures réalisées sur des terres agricoles ne peuvent pas être démolies, il faut les régulariser et autoriser leur exploitation ».

L’avancée effrénée de l’urbanisation a fortement dégradé les périmètres irrigués où les rendements sont les plus importants dans les régions côtières. Photo de couverture du groupe Facebook Ath Ouaguenoun

Terres louées 30 000 à 50 000 DA/ha

C’est ainsi donc qu’un périmètre aussi stratégique, où les rendements en céréales atteignent les 45 quintaux/hectare, alors que la moyenne nationale est de 20 à 25 qtx/ha et où 48 000 quintaux de céréales sont attendus cette saison, se perd progressivement malgré ses potentialités et la volonté des centaines d’agriculteurs qui y  travaillent.

Abordant son expérience dans le domaine de la céréaliculture, Ali Boumeriche, bien qu’il n’a en sa possession qu’une exploitation de petite taille, mais il procède à la location de terres auprès d’autres agriculteurs jusqu’à atteindre cette saison une superficie de 70 hectares emblavée pour la production de semences. Là encore, la location de terres auprès des particuliers, dont les prix varient entre 30 000 et 50 000 dinars/hectare/année, n’est pas sans inconvénients, car, dira-t-il, « souvent ces propriétaires louent leurs terres sans actes notariés ou autre titre officiel, or, nous, de notre côtés, nous avons besoin de ces documents que ce soit pour l’acquisition d’engrais ou pour justifier les superficies cultivées auprès de l’administration sectorielle ».

Pour les intrants, les semences ou les engrais, Ali Boumeriche regrette la hausse spectaculaire des prix qui n’épargnent aucun produit, comme « le NPK, utilisé pour le traitement des sols, se négocie entre 15 000 et 16 000 DA/quintal, or que son prix normal ne doit pas dépasser les 8 000 DA, les semences, non seulement ont connu des hausses de prix mais elles ne sont pas disponibles », dira-t-il, en citant l’exemple de semences maraichères pour lesquelles il a du faire le déplacement jusqu’à Mostaganem pour les trouver.

Dans le domaine céréalier, une fois passé le cap des moissons-battages, c’est un autre processus qui débute, à savoir la livraison des récoltes à la CCLS de Draa Ben Khedda, à près de 40 KM de son exploitation. A ce niveau, tout en reconnaissant que les choses ont évolué positivement et en se réjouissant de la révision à la hausse des prix décidée cette année par les pouvoirs publics, à savoir 6000 DA/ql pour le blé dur, 5 500 DA/ql pour le blé tendre et 3 400 DA/ql pour l’orge et l’avoine, Ali Boumeriche regrette des retards énormes pour le règlement des primes. Mais, loin d’être défaitiste, il affiche des ambitions pour aller de l’avant et, pour preuve, une moissonneuse-batteuse nouvellement acquise au prix fort de 13 millions de dinars pour ses récoltes, mais aussi à mettre à la disposition d’autres céréaliculteurs de la région.